lundi 7 août 2017






*ROYA, LE SOURIRE LUMINEUX*
>
>
> Daniel Paquet
>

>
> Où es-tu Roya, la lumière de mes yeux? Tu te souviens, nous nous
> sommes rencontrés dans la gare de Berlin, dans un wagon de
> passagers, partant pour l’Ouest pour être plus exact. Nous nous
> sommes toisés du regard sans dire un mot, debout dans la coursive.
> Est-ce toi, est-ce moi qui ai parlé en premier? Toujours est-il
> que nous nous sommes parlés… un peu. Tu me disais revenir d’un
> congé à Berlin, sans me préciser si c’était de l’Est ou de l’Ouest.
>
>
> Alors je t’ai dit que j’arrivais de l’Est, de la capitale de la
> République démocratique allemande (RDA), oui de la
> /« redoutable »/ Allemagne de l’Est. J’y étais allé pour vérifier
> si les Allemands souffraient réellement du joug soviétique. À
> vrai dire, je n’avais pas trouvé que c’était si pire que cela.
C’est ce que je t’ai dit. J’ai ajouté que je voulais, en tant que
> membre du Conseil central de l’Association nationale des étudiants
> du Québec (ANEQ), faire des contacts avec les leaders de jeunesse
> et d’étudiants d’Europe (quelle soit de l’Ouest ou de l’Est), avec
> notre association.
>
>
> Tu étais curieuse. Et la politique, m’as-tu demandé? Je t’ai
> répondu que quelques semaines auparavant j’avais rencontré deux
> journalistes de la RDA à Montréal venus faire un reportage en
> prévision des Jeux Olympiques de 1976. D’ailleurs, l’un d’entre
> eux m’a hébergé la première nuit à Berlin. Mais je reviens aux
> jeunes d’Europe pour te dire que j’ai été reçu par la Jeunesse
> libre allemande ou Freie Deutsche Jugend (FDJ) en bon allemand.
 Ils ont été bien gentils et m’ont accueilli pendant presque une
> semaine. J’ai visité leur capitale: le Luna Park ( la Ronde à
> Montréal, ndlr), les parcs et les édifices récents, dont la
> fameuse tour de télévision (un peu semblable à celle de Toronto).
>
>
> Tu m’as dit, Roya, que ça te disait quelque chose. Pendant ce
> temps notre train roulait vers Rome en Italie où tu habitais. À
> ce moment-là, tu as précisé que tu étais Iranienne et que tu
> vivais en exil dans la ville éternelle. Il était tard dans la
> nuit, mais je luttais contre le sommeil: c’était la première fois
> que je rencontrais une Iranienne et une femme aussi déterminée
> dans la lutte pour la démocratie dans son pays. Tu m’as donc
> parlé de ton beau pays, de tous les sévices qu’ont dû subir ses
> habitants et de vos richesses sans fin dont le pétrole, source
> d’envie des /« impérialistes »/ états-uniens.
>
>
> Non, tu n’étais pas braquée contre le peuple des Etats-Unis, ni du
> Canada d’ailleurs, mais il fallait que nous sachions la vérité:
> les Etats-Unis ont une politique d’exploitation des ressources des
> pays du Moyen-Orient dont l’Iran qui a plus d’une fois été trompé
> et /« dompté »/ par les services secrets des États-Unis (CIA), qui
> ont mis en place un /« fantoche »/: le Shah d’Iran dominant sans
> vergogne ton pays; ils ne reculaient devant rien, ni la mort, ni
> la torture. D’ailleurs, elle me regarda bien soigneusement à
> nouveau: oui, je peux te faire confiance, tu m’as l’air honnête…
>
>
> Est entrée dans le compartiment à l’arrêt dans une gare (dont je
> ne connais plus le nom) une famille italienne. Tu as engagé le
> dialogue avec eux en italien que tu parlais très bien. De quoi
> avez-vous parlé? Je ne sais pas, mais tu as rougi. La dame
> italienne s’est tournée vers moi; son regard parlait. Elle
> voulait savoir si nous formions un couple; c’est ce que tu m’as
> traduit, Roya, avec une lenteur pudique. Nous avons répondu à
> cette femme italienne que ce n’était pas le cas. Elle a juste
> fait signe de la tête en signifiant que cela aurait tout de même
> été bien.
>
>
> Nous avons, en reprenant nos esprits, écouté le bruit des wagons
> sur les rails. De longues minutes ont passé, le silence s’était
> installé et nous sommes arrivés dans une gare où la famille
> italienne est descendue. Il était tard et tu m’as dit que tu
> étais épuisée. « Je veux me reposer » m’as-tu dit, en ajoutant
> que tu espérais que je ne la dérangerais pas dans son sommeil.
 Nous n’étions plus que deux dans le compartiment. Ne t’inquiète
> pas, Roya, j’étais bien fier d’être un peu son protecteur après
> tout ce qu’elle m’avait conté sur l’Iran. Au matin, elle m’a
> montré le livre qu’elle serrait contre elle. Ça t’intéresse
> m’a-t-elle demandé amusée? Mais c’est écrit en arabe et je n’y
> comprends rien, lui ais-je rétorqué. Non, c’est en alphabet
> persan et c’est le Coran. Entendons-nous, c’est en partie le
> Coran, à l’intérieur tu pourras lire également des textes de Karl
> Marx, dont le fameux /Manifeste du parti communiste/ de 1848.
>
> Ça alors! C’est ainsi que nous avons découvert que nous étions
> deux jeunes communistes. Nous avons correspondu jusqu’en 1979,
> jusqu’aux journées mouvementées qui ont marqué l’avènement
> douloureux des fondamentalistes religieux au pouvoir en Iran,
> après avoir confisqué la révolution populaire du peuple iranien.
 Roya m’avait écrit qu’elle partait pour la ville de Qum. Elle ne
> m’a jamais réécrit. Je l’ai cherchée en Italie. Je ne sais pas
> où elle est. Je ne sais pas ce qui lui est advenue.
>
>
> Trente ans plus tard, le peuple iranien continue sa révolution de
> 1979 sans violence dans un élan des masses populaires. Le parti
> Tudeh, le parti de Roya, soit le parti communiste insiste sur
> l’instauration d’un régime politique qui pourrait ressembler à
> celui du Canada, dans un premier temps, où les richesses
> naturelles seraient, encore une fois nous parlons du pétrole, sous
> contrôle public et démocratique. Surtout, le peuple, d’après mon
> souvenir de Roya, veut un pays de libertés et moderne. Et si vous
> l’aviez vue dans son jean avec un t-shirt tout à fait ordinaire,
> les cheveux défaits, noirs avec une touche de henné. J’espère
> qu’elle vit quelque part et qu’elle se rappelle qu’au Canada
> aussi, l’Iran ce n’est pas juste un nom à la mode pour quelques
> semaines dans les mass média!
>
>
> - 30 -
>

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire