dimanche 29 avril 2018

pid : Netanyahu n’est plus un défenseur de la démocratie israélienne
Interview

Lapid : Netanyahu n’est plus un défenseur de la démocratie israélienne

Pour le deuxième candidat favori des Israéliens au poste de Premier ministre, Netanyahu a cessé de placer l'intérêt général du pays devant ses propres intérêts politiques

David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors de la cérémonie de Yom HaZikaron au cimetière militaire du mont Herzl à Jérusalem, le 18 avril 2018. (Crédit : Marc Israel Sellem/Flash90)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors de la cérémonie de Yom HaZikaron au cimetière militaire du mont Herzl à Jérusalem, le 18 avril 2018. (Crédit : Marc Israel Sellem/Flash90)
Quelque chose lui est arrivé. Quelque chose a changé. Il n’est plus celui qu’il était dans le passé.
C’est ce que dit Yair Lapid, le deuxième candidat favori au poste de Premier ministre, sur l’homme qu’il est bien déterminé à battre : Benjamin Netanyahu, le premier choix apparemment perpétuel des Israéliens.
Interviewé cette semaine dans un café animé de Ramat Aviv, le leader de Yesh Atid reconnaît aimablement qu’il n’est pas le psychologue attitré de Netanyahu mais il attribue ces changements à une combinaison de facteurs, parmi lesquels les problèmes judiciaires rencontrés par le Premier ministre, la durée de ses mandats au poste et le fait que le monde a changé et que lui n’a pas su s’y adapter assez rapidement.
Lapid insiste : Il n’est pas aveugle face aux nombreux accomplissements de Netanyahu mais finalement, dit-il, ce qu’Israël est en train de vivre avec le Premier ministre dorénavant est l’impact corrosif d’un chef de gouvernement resté bien trop longtemps au pouvoir.
Il ne parvient pas seulement à trouver un autre leader occidental resté aux manettes depuis 1996, année de la victoire initiale de Netanyahu à sa première élection (parce qu’il n’y en a pas – même s’il faut bien sûr noter que Netanyahu n’a pas servi durant 10 ans de ces 22 années, entre 1999 et 2009).
Yair Lapid, à gauche, alors ministre des Finances , et le Premier ministre Benjamin Netanyahu en 2013. (Crédit : Flash90)
Et tandis que Lapid est prêt à tout pour défier les assertions persuasives de Netanyahu concernant une renaissance économique et des relations qu’Israël entretient avec d’autres pays, et pour souligner les échecs de Netanyahu dans la gestion des menaces posées par l’Iran, il explique que c’est la cohésion nationale israélienne qui se trouve la plus menacée par la prise du Premier ministre.
Ce qui l’inquiète le plus, alors qu’Israël vient de fêter son 70e anniversaire et qu’il se demande comment le pays saura affronter les années à venir, est la capacité des Israéliens à « oeuvrer ensemble vers le bien commun – un facteur critique de la survie de l’Etat juif et qui, selon lui, a été sapée de manière cynique par Netanyahu en attisant les divisions pour un gain politique médiocre.
Et donc, s’il est élu Premier ministre, Lapid, 54 ans, promet qu’il adoptera une législation limitant le service à la fonction de chef de gouvernement à deux mandats. Et il l’adoptera rapidement, dit-il, avant de succomber lui-même à cette illusion typiquement israélienne que l’existence même du pays dépend de son maintien au poste et que tous les moyens peuvent être sacrifiés à cette fin.
Sous Netanyahu, affirme Lapid, la détermination de conserver le pouvoir quel qu’en soit le prix en est venue à menacer la démocratie israélienne elle-même – les tribunaux, les forces chargées de l’application de la loi et les médias étant tous, tour à tour, attaqués. Interrogé sur les failles de la législation qui est actuellement réfléchie par Netanyahu et qui empêcherait la Haute cour de renverser la Knesset si elle venait à l’estimer non-démocratique, il répond singulièrement, avec un rire plutôt malheureux : « Parce que si demain, les 66 membres de la coalition votent une loi disant qu’ils vont pendre les 54 membres de l’opposition de la Knesset à un arbre, vers qui nous tournerons-nous ? »
Netanyahu et son gouvernement, accuse-t-il encore, exhibent leur « échec à comprendre la politique en tant que processus continu où, parfois, vous êtes au pouvoir et parfois vous ne l’êtes pas – et que vous devez protéger les droits de ceux qui ne sont pas au pouvoir, parmi eux les minorités. La critique la plus dévastatrice de Lapid ? Que Netanyahu n’est plus un défenseur de la démocratie israélienne.
J’aurais été heureux de débattre de ces critiques – et d’un grand nombre d’autres questions – avec le Premier ministre lui-même, pas besoin de le dire. Mais le bureau du Premier ministre, comme il en a l’habitude, n’a pas répondu à une demande d’interview. Netanyahu a depuis longtemps abandonné une tradition dans laquelle les Premiers ministres se rendaient disponibles pour des entretiens multiples accordés aux médias israéliens deux fois par an – aux environs de Pessah/Journée d’Indépendance et de la nouvelle année (hormis quelques brèves minutes en Chine, l’année dernière, la dernière fois qu’il s’est directement entretenu avec le Times of Israel était à la veille des élections de 2015).
Et pourtant, les sondages continuent à le montrer, ce Netanyahu ostensiblement dangereux est encore beaucoup plus populaire que Lapid et sa coalition triompherait à nouveau si des élections avaient lieu aujourd’hui. Menace à la démocratie ou non, c’est Netanyahu que veulent les Israéliens. Ce à quoi répond un Lapid déterminé : « Eh bien, c’est là mon travail – les convaincre que je suis une meilleure alternative. »
Lapid s’exprime en anglais. Ce qui suit est une transcription légèrement révisée pour plus de clarté et de concision.
Times of Israel : Et nous voilà à nouveau à cette époque de l’année – une époque à la fois de deuil et de célébration.
Yair Lapid : J’ai écrit il y a de nombreuses années que c’est le seul pays où la différence entre le jour le plus triste et le jour le plus heureux ne tient qu’à 60 secondes. Nous avons débattu sur la question de la séparation de ces deux journées mais je pense qu’il est préférable qu’elles se touchent.
La première rend possible la deuxième. C’est approprié.
Oui.
Quel devrait, selon vous, être notre sentiment lors de ce 70e anniversaire ? C’est manifestement un accomplissement étonnant d’atteindre 70 ans dans cette partie toxique du monde et, de plus, d’être prospère. Mais nous avons également beaucoup de problèmes.
Lapid with his father Tommy in the 1980s. (photo credit: Moshe Sinai/Flash90)
Yair Lapid avec son père, Yossef « Tommy » Lapid, ancien ministre de la Justice, dans les années 1980. (Crédit : Moshe Shai/Flash90)
Lors des anniversaires, on a tendance à réfléchir à plus grande échelle. J’ai 54 ans. Lorsque mon grand-père avait 54 ans, il était déjà mort – réduit en cendres au sein du camp de concentration de Mauthausen. Quand mon père avait 54 ans, en 1985, le pays était en train de guérir de la première guerre du Liban et la nation start-up n’avait pas encore été inventée.
Il y avait une fragilité en Israël que l’on ne ressent pas dorénavant.
Nous allons bien.
Je regarde mon fils et je reconnais que nous vivons dans un pays étonnant, et je suis heureux pour lui qu’il soit là. Je dois absolument croire que lorsqu’il aura 54 ans, dans 23 ans, il vivra alors dans un pays meilleur que celui dans lequel je suis en train de vivre. Mais pour la première fois de mon existence, je ne suis pas convaincu que l’avenir d’Israël sera nécessairement meilleur que son présent ou son passé.
Parce que ?
Parce que personne ne s’en préoccupe. Parce que nous avons un système et un leadership complètement dysfonctionnels qui ne se sent pas autant dans l’obligation [que ses prédécesseurs] de faire ce qui est juste, même si cela a des conséquences politiques.
Nous avons été amenés dans cet endroit extraordinaire où nous nous trouvons maintenant par des gens qui nous ont dirigés sur le bon chemin, et je ne pense pas que nous ayons encore ce type de dirigeants aujourd’hui.
C’est le système ou les personnalités ?
Ils sont interdépendants. Le système politique est totalement inadapté, non seulement à ce dont le pays a vraiment besoin, mais également à l’âme et à l’esprit de la nation.
Ça ressemble au dépit d’un perdant. Le public, dans tous les sondages que nous voyons – malgré les revirements de Netanyahu sur l’expulsion des migrants, les affaires de corruption, les tensions avec la diaspora, et ainsi de suite – semble l’apprécier de plus en plus. N’avons-nous pas le leadership et le système que veulent les gens ?
En premier lieu, le Premier ministre en place conserve toujours l’avantage jusqu’au jour des élections. Et seulement ce jour-là, nous savons ce que veut le public très exactement.
Je ne suis pas d’accord avec Netanyahu, je ne suis pas membre du Likud. Mais pour être juste avec Netanyahu, il a fait beaucoup de bonnes choses aussi pour le pays. Le problème que nous avons, c’est que quelque chose lui est arrivé.
Je pense que nous pouvons convenir du fait que si nous voulons la démocratie pour nous défendre, alors nous devons également défendre la démocratie. Il ne le fait plus, ce qui est alarmant. Et c’est d’autant plus grave qu’il n’était pas comme ça dans le passé. C’est quelque chose qui est arrivé au cours des deux ou trois dernières années, parce que cela fait trop longtemps qu’il est à son poste.
Cela fait plus de 20 ans que je le connais. J’ai servi [en tant que ministre des Finances en 2013-2014] dans son gouvernement. [Dans la série télévisée de la Journée de l’Indépendance consacrée aux leaders israéliens sur la Dixième chaîne], on voit ce moment où il s’avère que [le premier Premier ministre David] Ben-Gurion est là depuis trop longtemps. C’est la même chose avec Netanyahu. Il est là depuis trop longtemps.
Quelque chose lui est arrivé ? Que cela signifie-t-il ?
Quelque chose a changé. Je ne suis pas son psychologue.
Comme tous les politiciens, il avait son propre agenda mais si c’était lui ou le pays, le pays passait en premier. Ce n’est plus le cas. S’il a le sentiment – et il l’a – que les divisions au sein de la société israélienne peuvent le servir politiquement, il n’a aucun problème à contribuer à ces divisions au lieu de considérer que son devoir est de guérir les blessures. Et s’il a le sentiment que cela lui sert politiquement d’attaquer ouvertement la police, la Cour suprême, toutes les institutions…
Je pense que nous pouvons convenir du fait que si nous voulons la démocratie pour nous défendre, alors nous devons également défendre la démocratie. Il ne le fait plus, ce qui est alarmant. Et c’est d’autant plus grave qu’il n’était pas comme ça dans le passé. C’est quelque chose qui est arrivé au cours des deux ou trois dernières années, parce que cela fait trop longtemps qu’il est à son poste.
Et est-ce que tous nos Premiers ministres n’ont pas eu la conviction au cours des années que s’ils abandonnaient leur fonction, le pays se trouverait dans un péril terrible ?
Oui..
Et que donc cette fin justifierait tous les moyens ? Est-ce ce à quoi nous assistons ?
Oui, et d’où les limites de mandat qu’ont d’ores et déjà certaines démocraties.
C’est ce que vous feriez ? Vous changeriez le système à cette fin ?
Oui. J’ai présenté un projet de loi à la Knesset pour limiter à deux mandats les services du Premier ministre. Et si je le deviens moi-même, c’est quelque chose que j’adopterais au cours des trois premiers mois. Parce que probablement, après trois ou quatre ans, je risquerais également de me convaincre moi-même [que je serais le seul à pouvoir diriger le pays].
Mais le public, une fois encore, l’apprécie manifestement davantage que les autres candidats.
Eh bien, c’est là mon travail – convaincre les Israéliens que je suis une meilleure alternative.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, à droite, et le ministre des Finances Yair Lapid au cours d’une conférence de presse au sujet de la réforme des ports israéliens à Jérusalem, le 3 juillet 2013 (Crédit :Flash90)
Je ne fais pas partie de ce camp anti-Bibi qui estime que tout ce qu’il a fait dans sa vie était mal. Je n’ai pas cet instinct. Je viens d’une famille de droite. J’ai déjà servi dans son gouvernement. Je connais sa famille. C’est seulement qu’il est là depuis trop longtemps et qu’il entraîne le pays sur le mauvais chemin dorénavant.
Vous avez dit que vous ne pensiez pas qu’il y ait encore cette fragilité qu’il y avait dans le passé en Israël. Alors avons-nous au moins davantage la certitude d’exister ? Etes-vous sûr que nous avons traversé le pire en termes de menaces physiques ?
Nous avons connu des moments pires. Réfléchissez à l’atmosphère qui régnait dans ce pays au mois de mai 1967, lorsque mes grand-parents ont appelé mes parents depuis l’étranger et qu’il leur ont dit que la moindre des choses qu’ils puissent faire était de leur envoyer leurs enfants. Il était manifeste aux yeux de tous, cinq minutes avant ce triomphe incroyable, que le pays allait être détruit.
Nous devons affronter des choses alarmantes.
Les Iraniens en Syrie. Le Hezbollah, la plus importante organisation terroriste sur terre, forte de 140 000 missiles et roquettes tournées vers nous au moment-même où nous sommes en train de parler, certains dotés de guidage de précision.
Mais si vous me demandez quelle est [ma] plus grande crainte, elle est liée à la société israélienne et à notre capacité à oeuvrer ensemble pour le bien commun.
A la veille de la guerre de 1973, il n’y avait pas le sentiment d’un péril existentiel – et pourtant, nous nous trouvions face à un péril existentiel. Vous ne pensez pas que nous nous montrons outrageusement complaisants aujourd’hui ? Qu’arrivera-t-il si dans quelques semaines, des centaines de milliers de personnes marchaient vers la frontière avec Gaza et que le Hezbollah ouvrait un second front, sans parler de ce qui peut se passer en Cisjordanie. Avons-nous autant de capacités que ce que nous pensons pour répondre à des menaces physiques graves ?
Oui. Ce que vous décrivez est alarmant mais ce ne sont pas des menaces existentielles. Une menace existentielle, ce serait cinq armées arabes marchant vers nos frontières. Une telle guerre n’aura pas lieu.
Des Palestiniens brandissent leurs drapeaux sous une forte fumée de pneus brûlés par les Gazaouis à la frontière entre Israël et Gaza lors d’une manifestation, à l’est de la ville de Gaza, le 6 avril 2018 (AFP PHOTO / MAHMUD HAMS)
Nous vivons à une époque où la différentiation entre temps de paix et temps de guerre est opaque. Nous devons avoir de bonnes réponses à apporter aux 50 000 Palestiniens qui marchent vers notre frontière à Gaza, mais il ne s’agit pas d’une menace existentielle. Israël est plus puissant que n’importe lequel de nos ennemis, notamment l’Iran.
Alors vous êtes davantage préoccupé par la cohésion sociale et la stabilité de notre démocratie ?
Et par notre capacité à travailler ensemble, et à nous assurer que les meilleurs et les plus brillants d’entre nous sont ici.
Tout pourrait être différent au sein du pays si seulement quoi ?…
Les pays ne fonctionnent pas comme ça. Les pays sont de gros bateaux et les faire tourner prend du temps. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un leadership différent, de concevoir réellement des plans et de travailler en faveur de l’avenir du pays, pas en fonction de l’avenir des politiciens.
C’est pour cette raison que nous avons [dans le parti Yesh Atid] avancé le plan en sept points pour l’avenir de ce pays. C’est triste. Lorsque nous l’avons émis, j’étais désireux de débattre. Mais il n’y a pas de débat. Je ne veux pas figurer parmi ceux qui blâment les médias pour tout. Mais, à la base, nous n’avons même pas pu obtenir un débat réel sur l’économie à l’époque des machines, sur les écarts sociaux…
Netanyahu répondrait qu’il gère toutes ces questions. Que sous sa direction, l’économie est florissante. Et que nos relations étrangères sont formidables.
C’est bien d’avancer des arguments tant que vos affirmations sont justes. Revenons sur les deux exemples que vous venez de donner.
L’économie israélienne va très bien : la nation start-up a été établie grâce à deux processus qui ont été amorcés par deux gouvernements différents. Le gouvernement du Likud dans les années 1980, qui a créé le bureau du Chef scientifique. Et un gouvernement travailliste dans les années 1990, qui a établi ce qu’on appelle le programme d’initiative – essentiellement des fonds spéculatifs gouvernementaux pour l’industrie high-tech. Personne ne fait rien en ce moment pour créer la prochaine économie. Nous vivons maintenant sur la dynamique des décisions qui ont été prises il y a 20 ans.
Lors de cette nuit horrible dont vous vous souvenez probablement, lorsque l’avant-dernier budget a été adopté et que l’argent a été donné à tout le monde — [Moshe] Gafni, du parti HaYadout HaTorah, a reçu 80 millions de shekels et [les députés du Likud] Micky Zohar et Oren Hazan ont bénéficié respectivement de 40 millions et de 10 millions de shekels, ce dernier ne les ayant pas utilisé parce qu’il ne sait pas comment.
On a donné de l’argent à tout le monde, à tous les politiciens, à tous les accords de coalition mais finalement, avant le petit matin, il n’y a plus eu d’argent, et on a donc coupé le budget de quelqu’un qui n’avait pas de prix politique, celui du chef scientifique. Le budget qui est supposé créer la prochaine économie. L’innovation. L’air économique que nous respirons. C’est ce genre d’irresponsabilité que ce gouvernement est en train de montrer.
Concernant l’autre exemple que vous avez cité, ici, les choses deviennent pires parce qu’il n’y a pas de renaissance de la politique étrangère. Vous n’allez pas imprimer cela mais je vais vous le dire de toute façon. Vous n’allez pas l’imprimer parce que c’est long, c’est complexe – mais c’est intéressant.
Ne me tentez pas !
Dans la politique étrangère israélienne, nous avons huit arènes : Les Etats-Unis, les Juifs américains, l’Union européenne, les établissements internationaux tels que l’ONU, le Moyen-Orient, la Russie, la Chine, et ce que nous pourrions appeler le reste du monde.
A part une arène et demie, nous ne faisons pas mieux que ce que nous faisions, disons, il y a deux ans. Nous faisons de bonnes choses avec les Etats-Unis parce que Donald Trump a été élu et qu’il est un soutien dévoué d’Israël, et rien ne pourrait me rendre plus heureux. [L’ouverture programmée, le mois prochain, à Jérusalem de l’ambassade américaine] est le cadeau parfait pour le 70ème anniversaire d’Israël.
Mais [l’élection de Trump] n’a rien à voir avec la politique israélienne. Le candidat républicain que nous soutenions, Mitt Romney, en 2012, a perdu et cela avait été une énorme erreur de le soutenir. Le candidat républicain que nous ne soutenions pas, Donald Trump, a gagné.
Alors nous faisons mieux [concernant le président américain].
Le président américain Donald Trump accueille le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à la Maison Blanche, le 5 mars 2018 à Washington (Crédit : AFP PHOTO / Mandel NGAN)
Les choses vont horriblement mal au sein du parti démocrate, avec des républicains plus conservateurs et avec les Juifs américains – tout ce qui ne relève pas du président. Si vous ne me croyez pas, regardez notre échec total à convaincre les Américains de s’impliquer dans ce qui arrive en Syrie, face à l’établissement par l’Iran de ses militaires en Syrie, ce qui, selon Netanyahu, est la priorité numéro un de notre politique étrangère.
Concernant l’Union européenne, nous avons tout simplement abandonné. Apparemment, personne ne se préoccupe de notre plus important partenaire commercial. Nous avons besoin des Européens – notamment pour gérer le parcours suivi par l’argent du Hezbollah et des autres organisations terroristes. Mais nous avons pris la décision de déclarer que [la cheffe de la politique étrangère de l’UE] Federica Mogherini était une ennemie, que l’Union européenne est antisémite.
Cela ne constitue pas une politique pour un pays. Ce que vous faites, quand vous avez un problème quelque part, c’est travailler pour améliorer les choses.
C’est la même chose pour l’ONU. Je soutiens notre retrait du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies. Mais partout ailleurs, il faut continuer à y travailler. On ne nomme pas un politicien de deuxième ou de troisième zone au poste d’ambassadeur aux Nations unies. On doit s’assurer qu’on va y nommer le meilleur diplomate possible, qui soit à la mesure du combat à mener.
La Russie ignore nos besoins sécuritaires les plus urgents concernant la Syrie. La Chine, d’ici quelques années, deviendra le plus grand partenaire commercial de l’Iran.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu (au centre), son épouse Sara et le Premier ministre indien Narendra Modi lors d’une cérémonie de bienvenue à la résidence présidentiel à New Delhi, en Inde, le 15 janvier 2018 (Avi Ohayon / GPO)
Dans le reste du monde, où Netanyahu a [ostensiblement] fait de bonnes choses, il faut faire la distinction entre les séances photos et les politiques. Il a fait une opération photo incroyable en Inde et tout le monde a été tellement impressionné qu’on a oublié le fait que quelques semaines plus tard, le [Premier ministre Narendra] Modi est venu d’Inde pour se rendre au sein de l’Autorité palestinienne, qu’il est allé sur le tombeau d’Arafat et qu’il a dit qu’il avait été l’un des plus grands dirigeants de l’histoire.
Et Modi a accueilli [le président iranien Hassan] Rouhani en Inde. C’était incroyable : La réception organisée pour Rouhani a été une copie carbone de celle réservée à Netanyahu. Mais les accords qu’ils ont signé ont été dix fois plus importants, notamment pour un port indien en Iran, ce qui signifie qu’on a encore une fois joué avec nous.
Et on appelle cela une renaissance de politique ? Ce n’est pas une renaissance.
Personne ne travaille sur l’économie. Ou ne fait pas d’efforts pour minimiser les écarts sociaux.
Après avoir dit cela, je ne fais pas partie de ces gens de gauche qui estiment que le pays est terrible. Le pays est incroyable. L’armée est fantastique. Les gens y sont les meilleurs. Nous vivons une bonne vie ici.
Netanyahu contesterait avec amertume le fait de se reposer sur des lauriers économiques datant d’il y a vingt ans. Primo, il soulignerait les capacités israéliennes dans le cyber-secteur, notamment la lutte contre les cyber-menaces, un secteur dans lequel nous sommes un leader mondial.
Eh bien, c’est la réalité. L’armée israélienne est au coeur de cela.
C’est une bonne chose que Netanyahu se soit concentré sur le cyber-secteur lorsqu’il l’a fait. C’est une très bonne chose qu’il ait parlé de l’Iran quand personne d’autre ne voulait le faire. S’il était la même personne qu’il était alors, je serais alors en position de faiblesse
Il a fait de bonnes choses. Il a commencé à évoquer le cyber-secteur quand personne d’autre ne le faisait. Mais n’essayons pas [de revendiquer la responsabilité de ce qu’il se passe véritablement au sein de] l’armée israélienne. L’armée israélienne était la meilleure armée dans le monde en 1967. C’est l’armée qui a presque failli puis qui a vaincu en 1973. C’est l’armée qui, en 1948, contre toute attente, a créé le pays. Ce n’est pas du fait de Benjamin Netanyahu. C’est la version de Ben Gurion du rideau de fer : L’une des raisons pour laquelle nous avons gagné les guerres, c’est que nous avons été capable de maintenir notre avantage qualitatif. L’avantage qualitatif a toujours été technologique. Est-ce qu’on peut comparer nos capacités dans le cyber-secteur au fait que nous avons construit des réacteurs nucléaires, ici, dans les années 1950 ? Les gens n’avaient rien à manger dans les années 1950.
C’est une bonne chose que Netanyahu se soit concentré sur le cyber-secteur lorsqu’il l’a fait. C’est une très bonne chose qu’il ait parlé de l’Iran quand personne d’autre ne voulait le faire. S’il était la même personne qu’il était alors, je serais alors davantage en position de faiblesse. Il ne l’est plus. Malheureusement. Pour des raisons variées – notamment ses problèmes judiciaires, le fait que cela fait trop longtemps qu’il est à son poste, et le fait que le monde est en train de changer et qu’il n’a pas pu s’adapter aussi rapidement. Je ne vois aucun autre leader démocratique actuel qui ait été au pouvoir en 1996.
Pensez-vous qu’il est un danger pour la démocratie, qu’il détruit le démocratie israélienne, qu’il détruirait la démocratie israélienne pour rester au pouvoir ?
La démocratie israélienne est forte, elle est bien établie. Mais nous sommes dorénavant la troisième génération après la Seconde Guerre mondiale. Les gens ne comprennent pas les risques et les périls qu’il y a à ne pas vivre dans une démocratie. Ils veulent donc vivre en démocratie mais ils ne veulent pas en payer le prix.
Une partie d’une démocratie forte, vitale, vibrante, c’est le changement de leadership de temps en temps. Le balancier doit être actif et si quelqu’un tente de le ralentir ou de stopper son mouvement en abusant de son pouvoir d’autorité, alors c’est un processus qui n’est pas démocratique.
Les gens se disent : « Je veux vivre dans une démocratie et je suis favorable à la liberté de la presse, mais vous ne pouvez pas tout écrire, sans même comprendre que l’idée même d’une presse libre, c’est de pouvoir tout écrire. Et ils disent : « Oui, nous voulons une Cour suprême forte, mais elle ne doit pas intervenir dans des choses qu’elle ne comprend pas ». Et sans réaliser que oui, la Cour suprême doit comprendre les choses, mais elle est supposée intervenir. C’est l’objectif de la cour. Les gens disent : « Oui, nous voulons une police forte, mais qu’y a-t-il de grave dans le fait que le Premier ministre attaque la police ? » Eh bien, il y a quelque chose de mauvais lorsque le Premier ministre s’en prend à la police parce que si vous ne faites pas confiance à la police, à qui ferez-vous donc confiance lorsque la prochaine intifada éclatera ?
Une partie d’une démocratie forte, vitale, vibrante, c’est le changement de leadership de temps en temps. Le balancier doit être actif et si quelqu’un tente de le ralentir ou de stopper son mouvement en abusant de son pouvoir d’autorité, alors c’est un processus qui n’est pas démocratique.
Et c’est ce qui, selon vous, arrive aujourd’hui ?
On voit cela aujourd’hui en quelque sorte en Israël, oui.
Et pourtant, quand il s’en prend à la police, il s’élève dans les sondages. Voilà une théorie : Les Israéliens vous entendent, et [le leader de l’Union sioniste] Avi Gabbay, et [l’ancien ministre de la Défense de Netanyahu Moshe] Yaalon, et d’autres dans l’opposition, et tous nous disent que c’est une période de crise. Que nos dirigeants sont mauvais pour ce pays. Mais nous ne vous voyons pas tous si préoccupés par ce pays pour en venir à laisser de côté vos egos et à travailler ensemble. Si Moshe Yaalon entrait au siège de Yesh Atid et qu’il disait : « Yair, je voudrais être ton numéro deux parce que la période est critique », les gens pourraient commencer à prendre la situation au sérieux. Et au lieu de cela, nous voyons tous ces egos en dissension qui avertissent chacun que c’est un moment terrible, mais qui disent également être les seuls à pouvoir, au niveau individuel, déchoir le Premier ministre.
(De gauche à droite) Moshe Yaalon, Yair Lapid et Tzipi Livni (Crédit : Emil Salman/Pool/Flash 90)
Vous réunissez deux choses. Vous ne pouvez pas vous assembler à des gens avec lesquels vous avez une prise idéologique très différente. Je ne peux pas m’unir au parti travailliste parce qu’il est à gauche et que je suis au centre. Et pour la même raison, je ne peux pas avoir une formation unifiée avec le Likud.
Vous le feriez, sûrement, si la crise au sein du pays était suffisamment grave. Vous diriez qu’il faut mettre de côté les différences sur la diplomatie et la sécurité, même temporairement, pour sauver le pays en interne.
Eh bien alors, cela ne dépend pas de moi, cela dépend des électeurs. C’est ce qui arrive dans la vraie vie. Les électeurs regardent autour d’eux et se demandent qui a la meilleure chance de gagner, puis ils vont dans sa direction lors du scrutin. Jusque-là, c’est ce que nous constatons.
En second lieu, tous ces mouvements [des politiciens dans les partis politiques divers], tous ces généraux dont les gens parlent – et je pense que ce sont de bonnes personnes et je les veux dans l’arène politique – tout le monde prendra sa décision quand nous aurons une date pour les élections (Lapid se réfère à des politiciens potentiels tels que les anciens chefs d’Etat-major Gabi Ashkenazi et Benny Gantz.) Mais manoeuvrer pour la seule raison de manoeuvrer…
C’est prématuré ?
Oui, mais cela arrivera.
Qu’est-ce qui ne va pas dans cet argument avancé par Netanyahu sur des contraintes imposées à la Cour suprême. Les gens disent : « Nous avons voté pour ces politiciens. Ils fabriquent les lois. Pourquoi est-il inacceptable que le gouvernement fasse avancer la législation à laquelle il réfléchit disant à la Cour suprême de ne pas intervenir [pour renverser les lois adoptées par la Knesset] ?
Parce que si demain, les 66 membres de la coalition adoptent une loi disant qu’ils vont pendre les 54 autres membres de l’opposition à la Knesset à un arbre, qu’est-ce qu’on va faire ? (Lapid a un rire triste). L’idée que la démocratie ne relève que de la majorité… Quand les gens évoquent la tyrannie de la démocratie, c’est cela dont ils parlent. L’idée même de la démocratie, c’est le contrôle et les équilibres.
Miriam Naor (au micro), présidente sortante de la Cour suprême, et Esther Hayut (à sa droite), présidente entrante, à la Cour suprême lors du dernier jugement de Naor et la cérémonie de départ à la retraite, à Jérusalem, le 26 octobre 2017. (Yonatan Sindel/Flash90)
Mais le problème avec ce projet de loi dont le gouvernement discute actuellement est même plus important en raison du motif même de la législation. Pourquoi maintenant ? Netanyahu a été Premier ministre de temps à autre depuis 1996. Vingt-deux ans. Pourquoi maintenant ? A cause de ses problèmes judiciaires, et [sa croyance que] cela l’aidera à gérer ces problèmes.
Quand on m’a interrogé sur la loi française [l’immunité selon laquelle un Premier ministre ne devrait pas être poursuivi tant qu’il est à ses fonctions], j’ai dit que je souhaitais avoir cette discussion lorsque nous aurions quelqu’un [au poste de chef de gouvernement] qui n’est pas sous le coup d’une enquête.
La différence essentielle est que la France a des mandats limités pour son président qui ne peut être poursuivi.
J’ajouterais que dans la mesure où on évoque également le modèle britannique [d’équilibre entre le parlement et les tribunaux], que cela a également à voir avec la culture politique. Et du reste (il rit), s’ils veulent le modèle britannique ici, je veux aussi la reine.
Alors une fois encore, c’est une attaque contre l’Etat de droit, une attaque pour de mauvaises raisons par les mauvaises personnes.
Pensez-vous qu’il y ait quelque chose de systématique ici lorsqu’il s’agit des médias ? Le quotidien en hébreu le plus lu, Israel Hayom, a largement travaillé en faveur de Netanyahu; il y a eu des efforts visant à réorienter Ynet et le Yedioth; il y a eu des influences sur Walla, le deuxième site le plus important en termes d’information après Ynet et toutes sortes de machinations relatives aux informations à la télévision. Y a-t-il eu un effort de la part du Premier ministre de rassembler les médias ?
Le Premier ministre est bien trop préoccupé de ce qui est écrit et diffusé à son sujet. Quand vous êtes Premier ministre, vous êtes supposé être un petit peu au-dessus de tout cela. Vous savez quoi ? J’ai moi aussi ma part équitable d’attaques. Et je ne peux pas vous dire que je sois philosophe quand ça m’arrive. Mais cela fait partie du jeu démocratique. Et dire que je vais m’impliquer à changer cela, en utilisant de manière active les pouvoirs que je détiens, c’est dangereux. Au-delà de cela, il y a une enquête [dans les accusations de corruption contre le Premier ministre]. C’est au procureur de l’Etat de prendre des décisions.
Revenons aux Russes et aux Syriens. Qu’est-ce qui aurait dû être fait différemment ? Nous paraissons nous être montrés très robustes en Syrie. Nous avons même apparemment affronté directement l’Iran en Syrie. Pourquoi dites-vous que tout cela n’a pas été bien géré ?
Il y avait deux pierres d’achoppement dans la politique étrangère israélienne. Pas d’accord nucléaire [qui ne démantelait pas entièrement le programme nucléaire iranien] et pas d’Iran en Syrie. Le Premier ministre ou le gouvernement ont échoué sur ces deux questions. Concernant la Russie, on nous a promis à maintes reprises qu’on s’occuperait de tout. Netanyahu a fait des va et vient entre Sochi et Moscou, et il était très fier du mécanisme [de coordination entre Israël et la Russie] qui avait été créé, qui est un bon mécanisme. Mais il ne semble pas que nous puissions convaincre les Russes de prendre en considération notre part dans l’équation.
Ce qui peut ne pas être de la faute du Premier ministre.
Je ne sais pas si c’est de sa faute ou non. C’est son boulot. Son boulot, c’est de s’assurer que les Russes comprennent les choses. Ils ont leurs propres intérêts. Nous avons les nôtres. L’amitié, c’est bien, mais il s’agit fondamentalement d’intérêts. Les Russes doivent savoir que si leur principal objectif est de stabiliser la Syrie, ils ne la stabiliseront pas tant que les Iraniens sont là, parce que nous ne les laisserons pas faire. Et pour tous ceux qui disent maintenant qu’Israël semble prôner un conflit militaire, souvenons-nous que nous avons dix ans de retard – parce que cela fait environ dix ans approximativement que l’Iran pousse à une confrontation militaire violente contre nous. Elle utilise pour cela des mandataires. Mais y a-t-il quelqu’un qui ignorerait que le Hezbollah est un groupe mandaté par l’Iran ou que certains attentats terroristes ont été prémédités en Iran ?
Photo publiée par les médias iraniens montrent la base aérienne T-4 dans le centre de la Syrie après un tir de missiles lundi (médias iraniens)
Alors oui, il y aura un conflit jusqu’à ce qu’ils comprennent. Il n’y a aucun intérêt à fixer des lignes rouges à moins de s’y tenir. Apparemment, nous ne sommes pas parvenus à faire comprendre aux Russes que [pour Israël, une présence en Syrie] est une ligne rouge. Et c’est ce qui mettra en danger la gouvernance d’Assad à long terme, c’est ce qui va mettre en danger l’idée d’une Syrie stabilisée.
Etes-vous inquiet de ce que nos élections puissent être manipulées via les réseaux sociaux ? Je pense à Cambridge Analytica, Facebook et ainsi de suite ?
Je n’ai aucun doute sur le fait qu’il y aura des tentatives visant à manipuler l’opinion publique. Il y a toujours une certaine quantité de manipulation de l’opinion publique, et c’est ok. Mais il y aura des manipulations étrangères et non-étrangères – avec de l’argent.
Vous attendez-vous à voir vos courriels piratés ? C’est ce genre de choses que je veux évoquer.
Rien ne me surprend plus. Nous contrôlons les réseaux sociaux. Je suis resté bouche bée face à certaines choses que j’ai vues à mon sujet. D’un autre côté, il était tellement manifeste en France qu’on a tenté de manipuler l’élection contre Macron, et il est venu dire aux Français : « Vous savez, quelqu’un tente de vous manipuler ». Et je pense que les Israéliens sont au moins aussi intelligents que les Français et nous assurerons qu’ils comprendront ce qu’il se passe et pourquoi.
Ce gouvernement s’est convaincu qu’il resterait au pouvoir pour toujours. Et une fois qu’on se dit cela, il n’y a pas de raison de protéger les droits de l’opposition
Tout à coup, tous les ministres font la promotion de leur travail et du travail de leur ministère, et des événements spéciaux qu’ils organisent, à la radio. Cela crée le sentiment que le ministre est synonyme du rôle qu’il assume, et de son bureau, et cela approfondit cette perception – parce que Netanyahu est Premier ministre depuis trop longtemps – qu’ils incarnent le gouvernement et que personne d’autre ne peut être une alternative crédible.
Cela entre dans le cadre de ce dont nous avons discuté auparavant concernant l’usure de la démocratie. Pourquoi ? Parce que dans la vie, dans une démocratie, il y a la compréhension, lorsque vous êtes à la Knesset, que parfois vous serez dans la coalition et que parfois, vous serez dans l’opposition. Alors il est cohérent que lorsque vous vous trouvez dans la coalition, vous allez garantir qu’au moins certains des droits qui protègent l’opposition seront maintenus, parce que cela peut être vous qui en aurez besoin dans un an, dans deux ans, dans trois ans.
Ce gouvernement s’est convaincu qu’il resterait au pouvoir pour toujours. Et une fois qu’on se dit cela, il n’y a pas de raison de protéger les droits de l’opposition.
J’aimerais les voir, deux ans après. Imaginons que je sois Premier ministre. Il y a une coalition. Ils ne figurent pas dans la coalition. Et ils n’ont aucune Cour suprême vers laquelle se tourner. Ils doivent écouter nos ministres toute la journée à la radio, en train de se glorifier, en utilisant l’argent public. Et il n’y aura pas de police à laquelle porter plainte parce que la police aura été outrageusement affaiblie et refroidie.
C’est un échec à comprendre la politique en tant que processus continu, où vous êtes parfois au pouvoir et parfois non, et à comprendre que vous devez protéger les droits de ceux qui ne sont pas au pouvoir, notamment des minorités.
Enfin, il faut répondre à l’argument de ce gouvernement, à l’argument du Premier ministre, que nous sommes les seules personnes dignes de confiance pour diriger ce pays dans cette région hostile et à cette période terrible.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors de la cérémonie de Yom HaZikaron au cimetière militaire du mont Herzl à Jérusalem, le 18 avril 2018. (Crédit : Marc Israel Sellem/Flash90)
Mon but n’est pas de leur répondre. C’est ce que je dis au public israélien : Vous pouvez nous faire confiance. Vous pouvez me faire confiance. Vous pouvez nous faire davantage confiance qu’à eux parce qu’on ne peut plus croire en eux.
Et pourtant, les électeurs israéliens se sont rendus aux urnes en 2015 et ils ont décidé à l’évidence qu’ils faisaient confiance à Netanyahu et à ceux autour de lui pour conserver en vie leurs enfants dans l’armée. Je pense que cela a été un facteur essentiel.
Vous savez quoi ? Ce qui m’a fait en partie me décider à me présenter au poste de Premier ministre est ce qui m’est arrivé en 2015 [quand Yesh Atid est passé de 19 sièges à 11. Parce qu’en 2015, nous [au sein de Yesh Atid] sommes tombés à la renverse et tout le monde se tenait autour de nous, regardant notre dépouille et se disait qu’on ne s’en sortirait jamais. Nous l’avons fait. Cela a été dur. Il a fallu aller d’un endroit à l’autre. En nous assurant que nous avions affûté nos idées, nos capacités, depuis un point très bas. Vous n’êtes jamais prêt tant que vous n’êtes pas tombé et que vous ne vous êtes pas relevé. Cette chute est l’une des raisons pour lesquelles je suis prêt maintenant.

mardi 24 avril 2018


Nos cousins à peine éloignés

Daniel Paquet

M
algré ce qu’on dira la civilisation arabo-musulmane est proche de la civilisation occidentale, dont le Canada fait partie, ne serait-ce que du fait que nous avons comme fondement culturel, notre héritage judéo-chrétien qui est né en terre d’Israël… à deux pas du monde arabe en général, et palestinien en particulier.

« L’arabe est la langue officielle de plus de vingt pays et la langue maternelle de plus de 300 millions de personnes.  On le parle dans tout le Proche-Orient, du Maroc à l’Irak.  Par ailleurs, l’arabe, langue du Coran et de l’Islam, est compris par plus de 1,2 milliard de personnes sur la planète.

Des événements récents ont fait de l’arabe une des langues les plus importantes du monde.    (Bouchentouf, Amine; Chraïbi, Sylvie; et Chraïbi, Aboukar [INALCO], L’arabe pour les Nuls, Wiley Publishing Inc.  Hoboken, U.S.A., 2007, page 1).

« Parmi les événements… on note douloureusement la guerre en Syrie, ‘alors que la plus grande ville de la Syrie s’est transformée, une fois de plus, en un champ de bataille. (…)

La nouvelle flambée de violence, de loin la plus intense depuis le début de la trêve partielle, le 27 février 2016, survient alors  que des renseignement font état d’une présence militaire accrue près d’Alep, ce qui fait craindre  à plusieurs que le gouvernement du président Bachar al-Assad impose un siège complet à la ville et à ses banlieues, [i.e. contre les zones d’Alep contrôlées par les insurgés]. »  (Associated Press,  Alep s’enfonce dans la crise humanitaire, Métro, Montréal, Weekend 29 avril-1er mai 2016, page 10).

Revenons à la culture arabe.  « Pour un Occidental, l’arabe semble difficile au premier abord : certes, ce n’est pas une langue latine, et même l’alphabet est différent. »  (L’Arabe pour les Nuls, page 1).

« L’écriture arabe, avec ses courbes élégantes, se serait  inspirée du tracé sur le sable des crottes de chameaux.  Il n’y a là rien de péjoratif, le chameau étant à l’époque anté-islamique l’élément essentiel  de la vie du bédouin. (…)

Cette écriture, empruntée au nabatéen (ancien peuple de l’Arabie du N.O.) au IIIe siècle, a atteint sa forme définitive au VIIIe siècle. »  (Halbout, Dominique; Schmidt, Jean-Jacques; L’Arabe, Assimil, Paris, 2006, page 6).

« En raison de son incomparable qualité esthétique, l’écriture arabe a toujours fait l’admiration des hommes, arabophones ou non.  Langue du Coran, l’arabe prend un caractère sacré et orne les  monuments religieux dès l’époque omeyyade (fin du VIIe siècle). » (L’Arabe..., page 11).

« L’arabe, comme l’hébreu ou l’amharique (langue parlée en Éthiopie, est une langue sémitique.  Et elle est relativement jeune.  C’est dans le Sinaï, en Égypte, que l’on a trouvé  une des plus anciennes traces de l’arabe :  des graffitis qui remontent à l’an 300 après J.-C.
Quant à l’alphabet arabe, il s’est formé progressivement à partir des écritures araméennes et syriaques; langues qui étaient en usage en Syrie et en Irak.  à partir  du VIe siècle, on peut dire que l’écriture arabe est née. »  (L’Arabe pour les Nuls, page 2).

Mais l’arabe comme beaucoup d’autres langues a subi à travers ses échanges internationaux un mouvement de va-et-vient linguistique.

« Le mot qalam (calame en français) vient du latin calamus, qui a le même sens qu’en arabe.  La présence  romaine, dès les premiers siècles  de notre ère, dans l’Arabie  occidentale ou Arabie Pétrée, a favorisé l’introduction de certains mots latins dans la langue arabe. »  (L’Arabe, Assimil, page 54).

« La plupart des textes les plus anciens, même si leur authenticité est parfois discutable, sont des poèmes.  Des milliers de vers, sur l’amour, la description du désert, du campement abandonné, de la faune et de la flore, ou simplement du temps qui passe et de l’oubli, ont été composés par des bédouins aux VIe et VIIe siècles, juifs, musulmans, chrétiens et païens, qui possédaient un sens aigu du rythme poétique, et jouissaient d’un rang spécial au sein de leur tribu.  Ces poèmes utilisent une langue difficile, mais grâce aux nombreuses traductions, notamment françaises, nous pouvons encore les lire avec plaisir.  (cf. Histoire de la littérature arabe moderne, tome II, 1800-1945, Anthologie bilingue, Sindbad, Actes Sud, 2013, 789  pages). (…)

Aujourd’hui, il existe en effet plusieurs langues arabes : l’arabe classique, l’arabe moyen, l’arabe dialectal et l’arabe moderne standard.  Ici, par souci de pratique et de pertinence, on se réfère à l’arabe moderne standard (AMS), c’est-à-dire à la forme la plus largement utilisée dans le monde actuel.  (…)

L’arabe moderne standard est la langue dans laquelle les journalistes présentent l’actualité, dans laquelle la plupart des écrivains, s’expriment, ou encore dans laquelle les hommes d’affaires négocient et discutent des détails techniques.

C’est aujourd’hui l’arabe de référence, celui qui est enseigné dans toutes les écoles de tous les pays, celui que l’on lit, écrit, et parle dans de nombreuses circonstances : discours officiels, conférences, rencontres, travail. »  (L’Arabe pour les Nuls, pages 2, 4).

Il existe un vaste monde qui aujourd’hui navigue vers la mondialisation; un de ses plus beaux fleurons, c’est la civilisation et la langue arabes.

Malgré tout ce qui peut paraître, ses populations sont ouvertes sur les grands espaces, les ‘vastes déserts’ et finalement les autres peuples.

Comment réagit-on en Occident, engagé dans des guerres sanglantes et indiciblement emplies de souffrances, au Moyen-Orient?  Est-ce que l’Amérique au premier chef parle de paix? ou agit en faveur de la paix?

« Le favori (i.e.en son temps) de la course à l’investiture républicaine, Donald Trump  a promis… qu’advenant son élection à la présidence, il ferait passer la sécurité des Américains ‘avant tout le reste’. (…)

Il a toutefois omis de répondre à plusieurs questions… incluant son plan pour vaincre le groupe État islamique. (…)

M. Trump a également critiqué la politique étrangère du président Obama au Moyen-Orient, et a accusé l’ancienne secrétaire d’État (i.e. ministre des Affaires étrangères), Hillary Clinton, d’être en partie responsable de ce qu’il a décrit comme l’incapacité des États-Unis à faire preuve d’autorité sur la scène internationale. » (Associated Press, L’Amérique d’abord, le reste du monde ensuite, Métro, Montréal, jeudi 28 avril 2016, page 12).

Paradoxalement, le monde arabo-musulman répond : « MarHabâm (… bienvenue) dans l’univers merveilleux de l’arabe, du Maroc à l’Indonésie. (…)

Alors que l’Europe était plongée dans le Moyen-Âge, des savants de la civilisation arabo-musulmane, parfois juifs ou chrétiens, persans, turcs ou africains, participant à l’essor de cette civilisation, ont traduit et développé en arabe la plus grande partie des œuvres de la Grèce antique : ils ont ainsi préservé certaines des plus grandes réussites intellectuelles sur lesquelles repose la civilisation occidentale.

Un exemple :  Avicenne (980-1037), médecin et philosophe, grand connaisseur de Galien, compose au début du XIe siècle le Canon du la médecine, qui, traduit en latin au XIIe siècle, réédité plusieurs fois, servira ensuite à l’enseignement médical en Europe jusqu’au XVIIe siècle.  (L’Arabe pour les Nuls, pages 13, 15).

« La langue arabe possède un vocabulaire extrêmement riche.  Il n’existe pas moins d’une cinquante de mots pour désigner le chameau aux différentes étapes de sa vie et selon ses caractéristiques. L’arabe présente tout un choix de termes qui, d’ailleurs, seront empruntés dans une large mesure par d’autres langues, surtout par le persan et le turc ottoman… Pour l’oreille, un arabe moderne bien prononcé a aussi peu à voir avec un arabe dialectal que le français d’un orateur avec le parler de la rue. »  (L’Arabe, page 15).

« Damas (Dimasthiq), capitale de la Syrie, fut le siège du puissant et brillant califat ommeyyade jusqu’en 750. La Grande Mosquée des Ommeyyades, par sa magnificence et son décor somptueux de mosaïques est l’un des reflets de la civilisation de cette dynastie dans l’art, juxtapose ou mêle des éléments byzantines, sassandines (iraniens) et antiques, pour bientôt aboutir à un art proprement islamique.

La ville d’Alep (Halab de halib, lait et halaba, traire; Abraham aurait trait des chèvres sur cette colline) qui était autrefois entourée d’une muraille, interrompue par une impressionnante citadelle, toujours existante.  Celle-ci, fut édifiée sur un tell conique à l’époque ayyubide; puis mamelouke, et entourée d’un profond fossé.  Au pied du tell, s’étend la vieille ville avec sa grande mosquée et son lacis de rues-bazars, où il fait bon flâner.

C’est là qu’est né le savon (as-saboun  il y aurait 4000 ans,  et le royal (al-matahiyyoun continue à y être fabriqué suivant une tradition millénaire, à base d’huile d’olive, d’huile de laurier, d’eau et de soude (et aussi d’extrait de salicorne et cinan).  Il fut rapporté en Occident par les Croisés.  On peut visiter le Khan ar-saboun, dans le souk. » (L’Arabe, page 486).

« Avec la chute des Abbassides en 1258, l’éclat de la culture arabe s’est terni pour de longs siècles, surtout dans le domaine de la littérature.  Celle-ci a connu une renaissance seulement à partir de la fin du XIXe siècle et uniquement au Moyen-Orient.  Les grands auteurs sont Gibran Khalil Giban (1883-1931) au Liban, et; en Égypte, Taha  Hussein (1889-1973), Taoufig al-Hakim (1898-1967) et Naguib Mahforaz,  prix Nobel de littérature en 1988. » (L’Arabe, page 486).

 « Pour suivre l’écoulement du temps, les Arabes utilisent trois calendriers différents :

a)       le calendrier grégorien qui est à peu près le même  que celui que l’on utilise en Occident.
b)      le calendrier syriaque qui est un calendrier solaire dont les noms des mois sont en araméen.  Il est utilisé au Moyen-Orient, où l’araméen subsiste encore, mais est inusité dans les pays du Maghreb, que n’ont pas de lien historique ou culturel direct avec l’araméen.
c)       le calendrier musulman, dont l’année 0 correspond à l’année 622 de l’ère chrétienne, date qui marque l’Hégire, c’est-à-dire l’exil de Mohammed,  de la Mecque à Médine.   (L’Arabe pour les Nuls, page 85).

Dans les pays arabes, les horaires des administrations ou des bureaux dépendent du climat.  Dans la péninsule arabique, où il fait particulièrement chaud, le travail commence à six heures.  Ce qui permet à certains d’avoir une double activité, une le matin et une autre l’après-midi.  Dans les autres pays, c’est en général l’horaire des pays occidentaux qui est appliqué.

Mais partout il y a dans chaque bureau une officine où l’on prépare thé et café et les employés peuvent s’en faire monter dans leur bureau à tout moment.  D’autre part, il est coutume d’offrir à tout visiteur, client ou autre, quelque chose à boire.  Ceci fait partie des règles d’hospitalité en vigueur dans tout le monde arabe, comme en Orient.

Il faut retenir que le vendredi est jour férié et que la fin de semaine peut commencer le jeudi à midi.  Mais quand on récite les jours de la semaine, le premier jour est dimanche.

Le mot souq désigne en arabe tout type de marché, mais en particulier le marché couvert de type oriental, avec ses rues bordées d’échoppes, ses cafés, ses mosquées, entrepôts (khan) et hammams (bains publics). (L’Arabe, page 67).

Suivant les régions ou les pays, il peut prendre des aspects quelque peu différents, mais c’est toujours là que bat le cœur de la ville populaire, d’autant plus qu’il se situe généralement dans les plus anciens quartiers.

[Par ailleurs], la médecine occupait une grande place dans la civilisation islamique – on y trouve même une femme médecin au XII siècle au Yémen – et il existait de nombreux traités (i.e. documents de référence).  Ceux-ci ont été pour la plupart illustrés, et on trouve dans ces manuscrits des peintures représentant diverses opérations telles que césarienne, trépanation, cautérisation, réduction de fracture ou opération de la cataracte. (L’Arabe, page 500).

Dans un autre ordre d’idées, « en 2001, selon Statistique Canada, les Canadiens et immigrants d’origine arabe représentaient 1,2 % de la population totale.  Les Algériens seraient les plus nombreux au Québec, notamment depuis les années 1990-2000, comme étant la ‘décennie noire’ durant lesquelles le terrorisme sévissait en Algérie, peu après la guerre civile. »  Telle est l’introduction de la journaliste Alexandra Guellil à un article récent.  (S’exiler et se retrouver, L’Itinéraire, Montréal, 1er mai 2016. page 16).  L’article ajoute que, ‘malgré les amalgames possibles, tous les Arabes ne sont pas musulmans et inversement.   ‘Olivier Jesperu, dans le même numéro note que ‘L’immigration libanaise au Canada et au Québec est relativement récente, mais l’on dénombre déjà quatre vagues d’arrivants.  La première débute à la fin du 19ème siècle, plus de 2000 Libanais et Arabes de la Grande Syrie ont quitté leurs foyers à la suite de l’effondrement de l’économie arabe et des massacres interconfessionnels.  La seconde vague se déroule entre 1945 et 1975, après l’indépendance des États du Maghreb et après la Seconde Guerre mondiale.  Enfin la dernière et troisième se déroule dans les années 1990 avec l’arrivée de plus de 50 000 immigrants, essentiellement Maghrébins, notamment à cause des violences politiques.

On estime actuellement à environ 650 000 le nombre de Canadiens originaires du Moyen-Orient et du Maghreb.  Quant aux Libanais, ils sont plus de 350 000.   Au recensement de 2006, plus de 32 000 personnes nées au Liban étaient recensées dans le grand Montréal. »  (L’Itinéraire, page 15).

L’humoriste Mehdi Bousaïdan (toujours dans une entrevue à L’Itinéraire (En route vers un bel avenir), confie que « Suite à la guerre civile en Algérie, « je suis arrivé au Québec en  1996 avec mes parents, mon frère et ma sœur, lorsque j’avais environ  5 ans.  Vu que mon père avait des amis  à Montréal, on a choisi de s’établir au Québec plutôt qu’ailleurs.  Je crois que le fait de connaître a priori des personnes installées à Montréal pouvait faciliter notre intégration et ça été une des  principales raisons de venir ici. » (L’Itinéraire, 1er mai, page 17).

Par extension, on peut dire que : « les crises économiques ont infailliblement engendré des crises sociales  qui à leur tour ont mené à une montée de la droite (et du fascisme, - ndlr).  Les Mussolini et Hitler d’hier font place avec Le Pen et Trump d’aujourd’hui. »  Et « l’immigration est, et ce, plus que jamais, au centre de tous les enjeux  ministériels.  Pourtant, le vieillissement de la population, le faible taux de natalité ainsi que les départs massifs à la retraite représentent des freins pour le Québec qui peine à rester productif au niveau international.  (…)

Et quoi de mieux que le travail pour intégrer quelqu’un?   En 2011, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) mentionnait la non-reconnaissance des diplômes étrangers, le manque d’expérience de travail en terre d’accueil ainsi que la discrimination directe à caractère raciste comme des obstacles importants au levier du développement économique qu’ils pourraient apporter. »  (Richard, Christine, Les immigrants ont le dos large,  L’Itinéraire, Éditorial de la directrice générale, Montréal, 1er mai 2016, page 7).

« L’essayiste [Georges Leroux] soutient que « nous sortons au Québec, d’une très longue phase d’uniformité et que l’enjeu actuel est de former les jeunes à ce monde divers avec des réflexes démocratiques, des connaissances de la diversité et tout un ensemble d’autres choses qui sont cruciales ».  (Guellil, Alexandra, Conjuguer l’identité au pluriel, L’Itinéraire, Montréal, 1er  mai 2016, page 13).

Aussi victimes et presqu’à tout jamais oubliés, il y a ceux pour qui les préjugés sont les plus douloureux, les plus tenaces et les plus mordants :  les Premières Nations, mieux connues sous le vocable d’Indiens.

Le journaliste et écrivain Deni Ellis Béchard, martèle :  « Quand je parle des Blancs dans le livre (Kuei,  je te salue,  Conversation  sur le racisme, - ndlr), je veux qu’on arrive à voir à quel point on est   fermés.  À quel point on n’arrive même pas à élargir notre conscience pour concevoir que cette autre personne est un être  humain avec les mêmes désirs, volontés et besoins que nous.  (…)

Ce qui fait mal, c’est le racisme, la discrimination, cette relation avec l’autre qui n’existe pas.  « Toute ma vie, je l’ai vécu, je l’ai senti.   (…)

Il faut éduquer les gens, tout simplement.  Si les gens sont éduqués, ils vont refuser les commentaires [racistes], ils vont y être révoltés. »  (Entrevue accordée à Andréanne Chevalier, Prouver que le dialogue existe, Métro, Montréal, lundi 9 mai 2016, page 4).

« Kahtenrénini Iris Stacey développe des programmes d’enseignement pour le Centre d’éducation de Kahnawake tout en poursuivant sa maîtrise sur la revitalisation des langues autochtones.  ‘ Il y a beaucoup d’efforts faits depuis les années 1970 pour redonner vie  à notre langue.  Il y a maintenant des écoles d’immersion pour les enfants, des cours pour les adultes et mêmes des ateliers destinés aux parents qui viennent avec leurs enfants.’ »   [On] collabore incidemment à une nouvelle version d’un dictionnaire sur un dialecte inuit.  Patrimoine Canada consacre 5 M$ par année, jusqu’en 2017, à des projets de promotion des langues autochtones.   (…)

Malgré tout, seule une minorité de Mohawks parlent leur langue.   Selon le recensement de 2011,  545 personnes au Canada ont déclaré avoir le mohawk pour langue maternelle. » (Léouzon,   Roxane, Des dictionnaires pour les langues autochtones, Métro, Montréal, lundi 4 avril 2016, page 8).

La discrimination entre Canadiens d’origine européenne et les peuples autochtones, existe aussi entre hommes et femmes de même origine, quant à la société d’accueil; par exemple chez les arabo-musulmans du Canada :  « Muslim women are less optimistic about relations with non-Muslims that men are, the survey found (Environnics Institute survey of Muslims in Canada, -Ed.), a greater number worry about the reaction of Canadians toward Muslims, believing that the next generation of Muslims will face more discrimination.  They are also more concerned about media portrayal of Muslims, and stereotyping by colleagues and neighbours… The unemployment rate of Muslims was (in 2011) 14 per cent,  compared with the nation average of 7.8 per cent, despite Muslims having high levels of education.  The unemployment rate was highest in Quebec (17 per cent), which was double the provincial average.

Even Canadian-born Muslims, who graduated from a Canadian institution, fared worse than the national average, https://youtu.be/on4jrqvAvzc , with an unemployment rate of 9.5 per cent.  One can only imagine the difficulties in  finding employment for the 60 000 Muslim women who head a single-parent household.”  (Khan, Sheema –consultant-, For Muslim women in Canada, a sense of  vulnerability, The Globe and Mail, Saturday, May 14, 2016, Toronto, page  F7).



Les damnés de la terre

Publié en 1961, à une époque où la violence coloniale (enracinée aussi en  France ) se déchaîne avec la guerre d’Algérie, saisi  à de nombreuses reprises lors de sa parution aux Éditions François Maspero, le livre Les Damnés de la terre, préfacé par Jean-Paul Sartre, a connu un destin exceptionnel.  Il a servi – et sert encore aujourd’hui – d’inspiration et de référence à des générations de militants anticolonialistes.  Son analyse du traumatisme du colonisé dans le cadre du système colonial et son projet utopique d’un tiers monde révolutionnaire porteur d’un ‘homme neuf’ restent un grand classique du  tiers-mondisme, l’œuvre capitale et le testament politique de Frantz Fanon.

Le livre a connu une dernière édition chez La Découverte et Syros, à Paris en 2002.  La préface cette fois est d’Alice Cherki, psychiatre et psychanalyste, auteur du Portrait de Frantz Fanon (Seuil, 2000), et la postface de Mohammed Harbi, combattant de la première heure pour la libération de son pays et historien de l’Algérie contemporaine, auteur de Une vie debout, Mémoires politiques 1945-1962 (La  Découverte, 2001), restituent l’importance contemporaine de la pensée de Frantz Fanon.

« Faire sauter le monde colonial est désormais une image d’action très claire, très compréhensible et pouvant être reprise  par chacun des individus constituent le peuple colonisé. » –Frantz Fanon.

« À l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban, où il restera quinze mois, Fanon fait une rencontre essentielle, celle de François Tosquelles, psychiatre d’origine espagnole et militant antifranquiste.  Ce fut pour lui une formation déterminante, et sur le plan de la psychiatre et sur celui de ses futurs engagements.  Il y trouve le point de rencontre où l’aliénation est interrogée dans tous ses registres, au lieu de jonction du somatique et du psychique, de la structure et de l’histoire.  En 1953, il passe le médicat des hôpitaux psychiatriques et est alors nommé à l’hôpital psychiatrique de Blida, en Algérie, [où] il se trouve confronté non seulement à la psychiatrie classique des asiles, mais également à la théorie des psychiatres de l’école d’Alger sur le primitivisme des indigènes. (…)

Il mettra dans un premier temps toute son énergie à transformer les services dont il a la responsabilité en y introduisant la ‘social-thérapie’ pratiquée avec Tosquelles. Il n’aura de cesse de transformer  ainsi le rapport des soignants aux aliénés, avec les Européens mais également avec les ‘indigènes’ musulmans, cherchant à restaurer leurs référents culturels, leur langue, l’organisation de leur vie sociale, tout ce qui pouvait faire sens. (…)

La réputation de Fanon s’étend.  Nous sommes déjà en 1955 et la guerre d’Algérie a commencé.
Il sera contacté par le mouvement ‘Amitiés algériennes’,  association humanitaire destinée à apporter un soutien matériel aux familles des détenus politiques, dirigé en fait par des  militants nationalistes en liaison avec les combattants ayant pris le maquis près de Blida.  La première demande qui lui est faite est celle de prendre en charge des maquisards souffrant de troubles psychiques.

C’est ainsi, par capillarité entre psychiatrie et engagement politique, que Fanon s’engage dans la lutte des Algériens pour leur indépendance.  Fin 1956, il démissionne de son poste de médecin psychiatre.  (…)

Les damnés de la terre  auxquels Fanon s’adresse sont les déshérités des pays pauvres qui veulent réellement la terre et le pain, alors qu’à l’époque la classe ouvrière du monde occidental (l’aristocratie ouvrière, - ndlr), souvent raciste et manifestement ignorante des populations d’outre-mer, témoigne d’une relative indifférence au sort des colonies dont elle tire indirectement bénéfice.  (En 2016, c’est l’impérialisme, surtout  U.S., qui va tambour battant, -ndlr)  (…)

Comme dans toute son oeuvre, Fanon, y met en tension politique, culture et individu, prenant en compte les effets de la domination économique, politique et culturelle sur le dominé.  Son analyse insiste sur les conséquences de l’asservissement non seulement des peuples mais des sujets, et sur les conditions de leur libération, qui est avant tout une libération de l’individu, une ‘décolonisation de l’être’.  Fanon… parle effectivement d’un avenir où serait dépassée la ‘peur de l’  ‘autre’. (…)

Quarante ans après la décolonisation et la guerre d’Algérie, dans un monde que l’on a vu   s’avancer vers le diktat de la mondialisation économique, cette réalité (accroissement des  inégalités, d’écart grandissant entre le Nord et le Sud, d’exclusion, de réduction des sujets à des objets, -ndlr) s’écrit et se profile quotidiennement dans le rapport Sud/Nord : avec une mise en place de la corruption organisée , institutionnalisée par les gouvernements des pays d’Afrique (ref.  La Forge, P.C.O.F., Paris) et instaurée par les grandes sociétés pétrolières, pharmaceutiques et autres du monde développé. (…)

Fanon désirait que tout homme soit sujet de son histoire et acteur du politique…, l’actualité de   Fanon réside aussi en ceci :  de façon anticipatrice, à une époque où se renvoyaient dos à dos, d’un côté, l’analyse matérialiste de l’aliénation et des rapports de force et, de l’autre, une vision existentialiste, une vision d’une aventure subjective coupée du monde environnant), il a tenté de mettre en place une nouvelle  construction du savoir introduisant le corps, la langue et l’altérité comme expérience subjective nécessaire dans la construction même de l’avenir du politique. (…)

[Fanon]  est actuel aussi par sa vie et le mouvement de sa pensée; au-delà de ce que l’on nomme la faillite des idéologies, en cette époque de globalisation économique et d’exclusion du sujet, la phrase, écrite par Fanon jeune, et qui guide toute sa pensée en acte – ‘Oh mon corps, fais toujours de moi un homme qui interroge!’ -, fait résonnance chez beaucoup de jeunes de notre temps,  quels que soient leur langue et leur lieu de naissance. » (Fanon, Frantz, Présentation de Alice Cherki, Les damnés de la terre, La Découverte/Poche, Paris, 2002, pages 5-15).

https://youtu.be/on4jrqvAvzc




Daniel Paquet
courriel :  dpaquet1871@gmail.com




lundi 23 avril 2018

L’Israélo-argentin Barenboim rend des prix musicaux allemands

Le directeur musical d'un des deux grands opéras de Berlin, a annoncé rendre des prix musicaux après que des rappeurs aux textes antisémites eurent aussi été récompensés

Par AFP Aujourd’hui, 17:53


Daniel Barenboim (Crédit : CC-BY-Alkan, Wikimedia Commons)



Le célèbre chef d’orchestre Daniel Barenboim, directeur musical d’un des deux grands opéras de Berlin, a annoncé lundi rendre des prix musicaux obtenus en Allemagne après que des rappeurs aux textes jugés antisémites eurent aussi été récompensés.

M. Barenboim, qui a remporté ces dernières années plusieurs de ces prix, nommés ECHO, a dénoncé dans un communiqué un album de rap aux textes « clairement antisémites, misogynes, homophobes et d’une manière générale méprisants pour la dignité humaine ».

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En conséquence, le chef d’orchestre israélo-argentin et deux orchestres qu’il dirige, la Staatskapelle de l’Opéra Staatsoper de Berlin et le West-Eastern Divan Orchestra, ont « décidé de rendre toutes (leurs) distinctions ».

« Les intérêts commerciaux ne doivent pas supplanter la décence et l’humanité », poursuit dans son communiqué M. Barenboim.

La remise des prix ECHO est la cérémonie de prix musicaux la plus renommée en Allemagne, dans des domaines allant du classique à la musique pop en passant par le jazz. Les prix se fondent sur les succès commerciaux des artistes.

Depuis le 12 avril et le début de la polémique, plusieurs lauréats de la manifestation cette année ont rendu leurs récompenses pour dénoncer la remise du prix de meilleurs artistes hip-hop de l’année aux rappeurs Kollegah et Farid Bang qui ont vendu en Allemagne plus de 200 000 exemplaires de leur album « Jeune, brutal et beau gosse 3 ».

Farid Bang et Kollegah (Crédit : Selfmade Records/Wikimedia commons/CC BY 2.0)

L’une de leurs chansons, « 0815 », dans laquelle les deux rappeurs se comparent aux prisonniers du camp d’extermination d’Auschwitz, a déclenché une controverse dans un pays hanté par les crimes nazis. Les deux chanteurs ont rejeté tout antisémitisme.

Plusieurs responsables des prix ECHO ont aussi démissionné pour protester contre la récompense accordée aux rappeurs, également dénoncée par des ministres allemands et des responsables d’organisations juives.

Cette polémique qui ne cesse de faire des vagues depuis mi-avril intervient dans un contexte de résurgence de l’antisémitisme en Allemagne.

La chancelière allemande Angela Merkel s’est émue de cette situation à plusieurs reprises ces derniers mois, la dernière fois dimanche dans une interview à une télévision israélienne.

La chancelière allemande Angela Merkel durant une interview accordée à la Dixième chaîne de la télévision israélienne, diffusée le 22 avril 2018. (Crédit : capture d’écran Dixième chaîne)

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